Vers le sud . De la Bretagne à Porto Santo

























































 Vendredi 8 décembre 2023

Sur le chemin de Fuerte Ventura, depuis porto Santo, première nuit de cette navigation.

Vêtu du jogging et de la polaire, calé dans les coussins du cockpit, pieds nus, la nuit est d’encre, sans lune, quelques étoiles jouent à cache cache avec les nuages. Le vent d’Est est doux, timide à s’établir se renforce et se calme au gré des nuages, la longue houle du nord ouest nous berce et se confronte à la petite “mer du vent” saccadée. On se croirait sur le dos d’un jeune cheval qui ne sait pas s’il doit s’élancer au galop ou trotter, un entre deux. On se réapprivoise nous et notre monture. Les filles sont couchées, je veille pour ce premier quart, le temps est propice à rassembler des souvenirs encore frais.


Nous en étions à Belle île, la salle d’attente. Escale imprévue, grâce à cette météo automnale qui tenait à nous retenir en nos contrées bretonnes. Une belle introduction à ce voyage, rien n’est vraiment écrit d’avance.

La vie à bord à l’escale se met en place et s’organise, nous améliorons l’ambiance en se procurant un petit chauffage soufflant, Nous sortons les vélos et les planches de surf pour se dé-gripper, les caisses à outils sont constamment ouvertes pour peaufiner, améliorer et réparer notre tanière à voile. 

Ces 3 semaines à scruter quotidiennement la météo en vue d’un bon moment pour franchir le Golfe de Gascogne, de la fenêtre idéale, nous permet de rencontrer des autochtones super sympas, qui à chaque fois que nous les croisons nous demandent “alors , ce départ, c’est pour quand ?” Rire jaune et ventre noué je répond dans le vague en haussant les épaules. Les pronostiques précédents ayant tous échoués, je ne fais plus de plan sur la comète . “on verra bien!” Je croisais les doigt dans mon dos et priais secrètement que ce soit avant le cœur de l’hiver.

En attendant cette délivrance (Belle île était un pénitencier autrefois) nous profitons des bons moments passés avec les amis et les rencontres, nous visitons, faisons nos touristes tout en étant à la maison. Nous nous régalons du spectacle des éléments déchaînés sur la cote sauvage, des airs méditerranéens de la côtés sous le vent, de la lande sauvage coiffée par le vent et profondément enracinée pour ne pas être scalpé à chaque tempête. Nous nous régalons un peu moins de celui des fermetures de bars… parce que, nous sommes au première loge, garé devant le café des matelots, celui-ci même qui invite des DJ en semaine, qui organise des soirées Mylène Farmer, qui est le dernier à fermer. Alors jusqu’au fond de notre lit nous profitons des bruits de la faune nocturne locale, ça nous fait bien marrer, c’est un peu comme en mer la nuit, pas moyen d’être vraiment peinard mais tout de même trop bien dans sa couchette. 

Quand enfin nous quittons le port du palais pour monter à Sauzon vers  un dernier mouillage bellilois, c’est en musique que nous franchissons l’écluse et remontons les 5 milles à parcourir, avec Elena, Emma et Virginie aux accordéons et flûtes traversières, grande émotion, merci les filles .

Viens le moment de partir, de dire au revoir à ces chouettes et chaleureuses rencontres et à notre petite Bretagne, ça ne sera pas sans une dernière tempête, Frédérico. Nous passerons la nuit seul-es dans l’avant port de Sauzon. Ça brasse de partout dehors, les lumières sont magiques et nous nous sentons bien à l’abri dans notre petit trou. Le vent mollit, la nuit ne va pas tarder à tomber, nous larguons les amarres. Théa et Mahé ,qui rentrent du collège, passent nous saluer depuis la jeté. Baccinou les ami-e-s  !

C’est parti pour le Gascogne, la traîne de la tempête nous offre un plan d’eau un peu désordonné, mais le vent nous porte et nous contournons l’île par le sud. Nous reprenons nos marques en navigation nocturne et à l’affût de la moindre entrave, aux aguets en ces eaux que nous ne connaissons pas, encore moins de nuit, je reste tendu un bon moment, j’avale vite fait le délicieux patates-curry-lait de coco bien réconfortant d’Helena, son plat traditionnel des premiers quarts de nuits. Ce n’est que tard, quand nous sommes bien en route et en eaux libres que je lui passe la barre pour un bon repos.

Les milles défilent, nous reprenons nos marques et notre rythme de navigation entre veilles, lectures, contemplation, repas, jeux de cartes, un peu d’école pour Enjà qui rattrape son retard des vacances passées avec les copains et les cousins. On y croise des dauphins joueurs, des globicéphales indifférents, mais rien au bout de l’hameçon. Un appel de la marine national retentit à la VHF pour demander au voilier "malo d’eau" de sortir de la zone de tir d’essai! Tiens Valentin n’est pas loin. Au matin du troisième jour nous apercevons les côtes espagnoles, la Galice. Nous appréhendons un peu, sans se le dire, car nous savons que les orques sévissent dans le quartier et je me surprend à me retourner plusieurs fois parce que j’ai vu un reflet ou entendu un souffle. Un peu echaudé de notre dernière rencontre avec ces cétacés en 2021 sur ce même voilier. Nous n’en verrons heureusement pas le moindre aileron.

Nous longeons la côte Nord au moteur et c’est sur une mer d’huile et une grande et longue houle que nous faisons de l’Ouest.

Le vent reviens alors que nous passons au nord de la Corogne, le pilote automatique commence à nous jouer des tours et il faut le réarmer régulièrement, en milieu de nuit il ne veut plus rien savoir, nous barrons. C’est plus fatiguant car il faut se concentrer, et comme nous sommes en côtier il faut veiller au trafic qui s’intensifie entre les bateaux de commerces et les pêcheurs.

Ce n’est pas possible de réparer dans ces conditions, le vent monte évidement assez fort mais avec nous, au portant. 

Nous décidons de franchir le cap Finistère et d’aller nous réfugier à Muros.

Nous y arrivons à midi.

L’entrée de la ria sous le soleil est magnifique et exaltante. C’est une grande baie profonde de 25 km et large de 8 km, bordée de hautes montagnes. Les pêcheurs sont à poste sur leurs barques dodelinantes, les barges reviennent des bouchots avec leur cargaison de moules. 

Nous nous amarrons au quai gasoil et aussitôt les outils sont sortit et démonte le vérin récalcitrant espérant pouvoir dépanner et repartir le soir même, je m’acharne -un peu- pour m’apercevoir que ce ne sera pas possible de réparer, il va falloir remplacer la pièce. 

Héléna et moi sommes crevé-es, nous n’avons que peu dormit la nuit précédente et c’est résigné-es et frustré-es que nous allons nous garer sur un ponton moins provisoire. Nous commandons la pièce le soir même avec l’espoir qu’elle arrive dans 48h. Pour se consoler nous nous prenons des croquetas (pas les meilleures du quartier) et une bonne Cervesas. Une grosse nuit s’en suit, c’est reposant d’être au calme, le bateau à plat.

Il n’y a rarement qu’un pépin dans le fruit, d’autre petites bricoles à réparer après cette nav, la caisse à outils restera ouverte, encore et encore,  le temps de cette escale. Nous allons nous balader dans le village et aux alentours, dans la montagne et la forêt d’eucalyptus. Le temps est radieux, nous rechargeons les batteries.

Nous nous occupons du linge, des courses, achetons le Jamòn au Black Friday du supermercado d’à côté. Héléna dessine et peint, un premier collage sera posé devant les quais sur les murs d’une casa en ruine. Enjà travaille assidûment et en autonomie le matin. La pièce arrive enfin, je la remonte et nous partons le lendemain matin, car la météo , bien que moins idéal qu’il y a 3 jours, nous permet de reprendre notre route vers Porto Santo. 

C’est repartit vers le sud: grand soleil, vent portant, ça glisse.

Des dauphins tachetés magnifiques viennent jouer devant Nouk, l’eau se réchauffe chaque jour un peu plus et la lune gonfle chaque nuit au point que les dernières nuit nous pouvons lire dehors sans autre éclairage. Nous ne croisons que peu de bateaux.

Nous pêchons notre première daurade coryphène, que nous cuisinons à la tahitienne: filets levés, émincés cuit dans le citron et lait de coco, sel, poivre. 

La traversée dure 6 jours et les 2 derniers le vent est contre nous, nous ne pouvons emprunter la route direct, nous devons tirer des bords, au près, pour atteindre notre destination. Le près c’est pénible, on dit que c’est 2 fois la route, en distance et 3 fois le temps, par rapport à la route directe, le tout en vivant dans un environnement incliné à 25 degrés, la gîte. Ça se fait bien mais c’est un peu usant.

Le dernier jour, nous nous impatientons d’arriver, nous apercevons l’île au loin, nous y sommes. Presque.

Mais le vent monte fort, des pointes à plus de 40 nœuds rendent plus pénible et plus long l’approche et la libération de l’arrivée, ça use mes nerfs, les filles sont plus patientes et relativisent.

Nous arriverons à une heure du matin, bien soulagé-e-s, ammaré-e-s à une bouée. Nous faisons sauter la capsule de la bière d’arrivée offerte par Elena et trinquons, épuisés, à notre réussite. Enjà, elle dort déjà depuis un moment. L’ambiance est chaude et saline, la silhouette des montagnes se dessinent devant nous. Nous nous couchons ivres de joie et de fatigue. Demain nous poserons le pied à porto Santo. Nous vous raconterons.


Tard dans la nuit, tôt le matin, c’est déjà demain, je finis d’écrire ces notes pendant mon deuxième quart, après avoir relevé Héléna. Les nuages se sont dissipés, la voûte céleste est une myriade scintillante de millions d’étoiles. A l’Est le mince croissant de lune se lève au dessus du Maroc, est ce un appel?

Le vent s’est renforcé et établit, ça y est Nouk est au galop.


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