Errants malgré nous #1


       Errants malgré nous // partie 1


Dimanche 15 mars

Los Roques, Venezuela est derrière nous, nous laissant un souvenir sauvage et la peau salée. Durant 36h nous longeons la côte Nord Colombienne, un trait de côte tout en relief apparaît dans la brume, quelques dizaines de milles plus loin, les sommets de la Sierra Nevada ponctués de neiges éternelles se dessinent. Santa Marta s’offre devant nous, la Colombie sous nos yeux ébahis, une promesse d’aventure et d’exotisme. El viento loco souffle de plus en plus fort alors que nous parcourons les derniers milles de cette navigation.Soufflés comme de vieux pop corn nous plantons notre ancre entre le port de commerce et la marina



Mardi 17 Mars: 
Les autorités nous refusent toute discussion, nous somment de quitter le pays immédiatement.
Nous leur répétons que nous n’avons plus d’eau, plus de vivre. “impossible de salir ahora”
Mais c’est quoi ce délire!!!
Nous n’avons aucun moyen de communication avec l’extérieur, hormis avec la VHF. 
Canal 16/Port Control - Canal 72/Marina de Santa Marta et l’iridium pour quelques e-mails.
Nous ne comprenons pas ce qu’il se passe.
Nous supposons qu’il y a un rapport avec le Coronavirus.
Les parents de Benjy n’ont pas pu nous rejoindre ici à cause de celui-ci.
“Mais nous avons quitter la France en Août!” 



Mercredi 18 Mars: 
Nous comprenons que le Venezuela et la Colombie ont fermés leurs frontières alors que nous quittions l’un pour retrouver l’autre.
Le quiproquo auquel je pensais n’en est pas un. La situation semble beaucoup plus compliquée, l’espoir de pouvoir visiter la Colombie s’effondre. Le bateau de l’Armada National (gardes-côte) tourne autour de Jacotte quotidiennement, nous répète inlassablement de quitter le pays, maintenant! Nous lui répondons lassés que nous avons deux enfants à bord, que nous n’avons plus d’eau potable (note pour moi même: acheter un desalinisateur pour notre prochain périple). Leur réponse est identique: Quittez le pays, maintenant. C’est quoi ce magneto pourri les gars! Même discussion, si c’en est une, depuis notre arrivée. A croire que les autorités pensent qu’on se nourrit d’amour et d’eau fraîche. Je ne les imaginaient pas si romantique. (note pour moi même: Ne pas juger les gens si vite, on peut avoir des surprises)
Au mouillage il y a trois voiliers, Chakra bleu, bateau Californien, avec à son bord, Blue et son père Jesse, et Chamat, bateau hongrois, avec Mihali pour seul équipage. Le jour de notre arrivée je suis allée les voir en paddle, nous pensions tous à un malentendu qui ne tarderait pas à être résolu. Heureux de se rencontrer et trouvant la situation plutôt coquasse. Mais les jours passant, l’insistence de l’Armada National, nos vivres diminuant, les frontières fermant les unes après les autres, notre désinformation et l’isolement ont raison de notre moral. Nos espoirs et notre confiance se sont tranquillement transformés en peurs et impatience. Notre forfait français nous permet d’échanger quelques messages avec nos familles. Nous nous tenons mutuellement informés de la situation. C’est impensable, la France est confinée!
Nous contactons le Consule Français de Santa Marta, Mr Desgans. Enfin une oreille compréhensive: nous ne pouvons pas repartir sans un réapprovisionnement en eau, en nourriture, en gasoil, en gaz, les prévisions météo de ces prochains jours et la garantie qu’un pays nous accueille. Nous sommes réconfortés. Puis Jack nous contacte par VHF, il est plaisancier, à la marina de Santa Marta, il a lût un récit de notre situation sur internet. Ça fait un bien fou cette solidarité, ce soutien. Nous ne sommes plus seuls en Colombie, nous ne sommes plus seuls face aux sommations des autorités. 
La décision est tombée comme un couperet, en fin de journée, nous sommes expulsés. Dans ma tête c’est le chaos: une maison après une fête sans limite, ma chambre d’étudiante qui avait plus l’allure d’une porcherie qu’une chambre, un champ labouré, un étal de jean chez Zara lors du 3ème rabais des soldes. Dans mon cœur c’est le chaos: un ciel gris pendant l’orage, le carrelage poisseux de la maison après la fête sans limite, les toits d’ardoises des maisons malouines sous la pluie d’hiver, un rocher tout sec dans un désert tout sec. Je suis perdue. Je veux qu’on se mette à couple des autres bateaux, j’ai peur pour Mihali à qui il manque des vivres. Nous avons les enfants, peut être que ça peut attendrir les autorités, mais lui est seul. Je pense partager ce qu’il nous reste de vivre avec lui, je regarde mes enfants, il faut qu’ils restent ma priorité, mais Mihali... Mais Blue et Jesse...
Où va t- on aller? Les destinations envisageables avec Jacotte en cette saison ferment leurs portes jour après jours, heures après heures. Les options s’amenuisent. Toutes les frontières ferment. 



Jeudi 19 Mars: 
A ce jour, Cuba reste ouvert. Le pays vient d’accueillir un bateau de croisière dont personne ne voulait, 1000 personnes à bord, dont plus de 10 cas avérés de Coronavirus. Je me dit qu’accepter Jacotte et son équipage est un détail en comparaison. Une fois notre requête acceptée ( vivre, eau, gaz, gasoil, météo) nous pensons rejoindre cette terre d’accueil. Nous nous projetons autour d’un bon rhum, de la merengue plein Les oreilles, un cigarillo, une terrasse, le chant des oiseaux. Mais Chaque demande auprès des autorités Colombienne nécessite 2,3,4 jours pour obtenir une réponse. Ce matin nous avons pu prendre la météo, il y a une fenêtre favorable samedi matin pour Cuba. Chakra blue pense rejoindre les USA demain et Mihali pense rejoindre Cuba avec nous.


Vendredi 20 Mars:
Nous obtenons enfin nos vivres, Jack nous vend son gaz, le plein d’eau et de gasoil sont fait.
Nous préparons rapidement la bateau pour les 4 jours de navigations qui nous attendent. Alors qu’il nous est interdit de poser un pied à terre depuis notre arrivée, trois personnes viennent chercher Bnj à la nuit tombée, pour qu’il aille retirer de l’argent afin de payer nos vivres et leur grasse commission. Ils préfèrent que ce soit moi, je suis moins repèrable que Bnj, plus typée hispanique, Bnj insiste pour que ce soit lui, peut être en rapport à mon oubli systématiquement récurant des codes de carte bancaire? Les papiers nécessaires à notre départ nous seront rendus dans la nuit vers 4h30. 



Samedi 21 Mars:
Nous partons dans 4h, dernier petit message à la famille et aux amiavant le départ. Nouveau message whatsapp de Julien: les copains, Cuba vient de fermer ses frontières...
C’est la dégringolade. Le toboggan avec du beurre dessus pour que la descente soit plus rapide, du kanioning en slip dans les chutes du Niagara. 
Mais où va t on aller?
Au vue de nos papiers nous avons quittés le Venezuela il y  a 10 jours et depuis nous sommes nulle part... et personne ne veut/ peut nous accueillir. 
J’ai déjà ressenti ça, un milliard de fois moins fort, quand en 5ème, à la fin du troisième trimestre, en sport, au moment où tous mes camarades, copains, amis avaient compris ma phobie du ballon. Au lieu de le toucher avec la main ou le pied selon la discipline, je mettais mes bras autour de ma tête pour me protéger. Lorsque ce moment redouté arrivait: la constitution des équipes. J’étais la dernière choisie, enfin imposée, il fallait bien me caser dans une équipe. Le regard dépité du capitaine d’équipe. L’odeur de honte et de défaite sur mon t-shirt “Champion”. Il n’était la question que de mon honneur et d’une sale note en sport, qui baisserait dangereusement ma moyenne déjà bien basse. Aujourd’hui il est question d’être refusé, expulsé, indésirable, pestiféré. Sensation étrange, désagréable. Je réalise la fragilité de notre état d’être. J’ai toujours considéré les frontières facilement franchissable. Peut être étant Européenne, les frontières n’ont pas le même poid. Je peux aller et venir à ma guise entre la France et ses pays frontaliers, ce qui n’est pas le cas d’une Mexicaine, par exemple. La frontière n’a pas la même couleur, n’a pas le même prix, parfois il coute la vie, selon la nationalité. Jamais j’aurais imaginé être expulsée. Je pense à tous ces réfugiés , arrachés à leur terre devenue misère. Ces exilés dont personnes ne veut. Quand les uns décident de l’existence des autres dans l’obéissance aveugle, sans humanité.
Ma tente mesure 10m60, mon sac à dos permet de contenir de l’eau potable en grande quantité, ma famille peut dormir sereinement, je ne fuis ni la guerre ni la torture et pourtant j’ai peur.
Et je me suis foutue là toute seule, pire j’y ai amenée mes enfants et mon mari m’a aidé. Alors qu’en France j’ai un foyer tout chaud, un chat, une cheminée! C’est à ce moment précis que j’interroge mon côté masochiste. Dialogue intérieur entre mon moi lambda et mon moi maso: “Tu cherches quoi?” “L’aventure.” “C’est quoi l’aventure?” “Pour moi, c’est ne pas savoir, me laisser porter, m’adapter” “Ne pas savoir c’est une perte de contrôle? Quand on perd le contrôle de son véhicule, c’est dangereux, non? C’est pas sujet à accident? T’adapter à quoi, Helena? T’adapter à un superbe tonneau, roulé boulé de ta bagnole contre une autre? Avec tes enfants dedans?” “ Je suis inconsciente, je ne suis pas adulte, je suis maso et... je suis maman...”
J’ai,pris la décision en Février, et cette situation ne fait que la confirmer, je veux retourner sur le terrain pour aider les réfugiés. Parce que je suis aussi humaine et citoyenne, aussi.

Donc après cette réflexion intérieur et au vue des informations que nous avons, nous pensons nous diriger vers la Guadeloupe ou Saint Barthélemy si nous n’arrivons pas à caper sur la Guadeloupe. 
Les Antilles francaises sont sensées nous accepter en tant que ressortissant français, sans aucune guarantie car nous apprenons par des voiliers copains qu’à ce jour, certains ports ont des arrêtés municipaux qui leur permettent de refuser les voiliers.
Cette route va être compliquée, contre le vent, contre le courant, contre les vagues. Tout en force. Si on voulait descendre un Escalator qui monte on ferait mieux.
Si on voulait monter le Menez Om avec un vélo déraillé à roues carrées sans guidon, on ne ferait pas mieux.





















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