Embarquer pour une nav de nuit #2

Benjy me réveille.
J’ai peu dormi, la bouteille d’huile olive violente celle de noix, Jacotte danse la java et ce foutu objet non identifié qui Cling et Clang. Chant nocturne de notre cabane.
Brève  passation: « Un bateau à l’Est que l’on vient de dépasser, un autre, au Nord au radar dont on devine la lueur. La nuit est belle. L’eau est chaude pour la tisane. » 
Tisane de nuit à l’eau de fleur d’oranger, bouton de rose et miel, de quoi s’évader en douceur.
Je n’ai pas envie d’aller dans le vent, j’ai déjà froid, je ne veux pas me lever, j’ai sommeil.
Mais la nuit m’attend.
J’enfile ma tenue d’équipière: la même tenue depuis 10 ans, un caleçon polaire trouvé dans une poubelle, un pull cachemire offert par Elfie, un sweat à capuche offert par Emily, taché de peinture, plus récemment j’ai ajouté la tunique indienne de Maud, le sweat de bad girls de Ludivine. Première couche enfilée, je m’attaque aux éléments techniques: la salopette de Nawa, l’écharpe offerte par Moutty, la veste de sécu offerte par Captain Michou, le bonnet Surf Harmony, gilet de sauvetage et longe de vie. 
Parée de mes gris-gris, j’aborde la nuit. 
Les étoiles sont magnifiques, le ciel est un cadeau. J’écoute la nuit, les bruits de Jacotte qui se tend, qui vibre, le génoi qui se dévente sous la grand voile, la barre qui résiste aux vagues et le bruit du ride de Jacotte sur l’eau, la note finale à cette symphonie addictive.
A ce moment, il n’y a pas meilleur endroit où passer la nuit, à chaque fois ce moment redouté se transforme en trésor savoureux.
Petit tchek de cap, de vitesse, état de la mer, direction du vent, j’essaye de comprendre les réglages de voilure que Benjy a fait pendant son quart et j’enfile mon casque, enfin celui de Bäo pour le défilé de la même playlist depuis 2 mois. En 94, je faisais des enregistrement de K7, une chanson phase A, une autre phase B, je m’étais des mois à m’en lasser, au désarroi de ma famille.
Un morceau de piano, Chord left d’Agnes Obel, pour plonger dans l’univers poétique et délicat de la nuit, No Roots d’Alice Merton pour parer au coup de fatigue, Flèche Love et Khruangbin pour me connecter à toutes les femmes rencontrées sur mon chemin et celle à venir, pour communier avec le vent, le ciel et la mer c’est Léon Bridges avec River qui m’accompagne, Kadhja Bonet «  honeycomb » me donne la main pour rejoindre les amours qui peuplent le ciel. Merci Arock et Seb pour les playlists.
Emmitouflée et attachée, je rêve, je me transporte dans la Voie lactée à mes pieds, formée par le noir de la mer, le blanc de l’écume et les étoiles de planctons luminescents. Je m’évade dans cet espace dans lequel j’ai envie de m’inviter. Cette Voie lactée pourrait-elle m’envelopper d’un voile chaud, une étreinte maternelle et rassurante? 
Je me rappelle d’Ulysse et le chant des sirènes. 
Une tasse de tisane.
Je vagabonde désormais dans la carte des étoiles, géographie du cœur, je pense à la famille, aux ami-e-s, à celles et ceux parti-e-s qui veillent sur nous pour que la route nous soit douce. Je pense au monde, m’enivre du vent, le même que mes ancêtres ont respiré, celui qui nous vient des forêts de Broceliande et des forêts reculées pures ou celles brûlées où les peuples sont sauvagement retirés, celui que le Colibri a savouré, celui sur lesquelles les albatros se laissent porter. Je pense à tout ce qui se passe de beau et d’horrible sur cette mer. 
Et si je vivais tout le temps comme ça? Nomade des mers?
Bain d’etoiles et de lune.
L’horizon joue à cache cache avec les vagues.
Le froid a atteint ma peau, je frissonne.
Je me délecte de ce moment de solitude.
Je touche l’infiniment grand et l’infiniment petit.
J’habite mon espace, l’espace de la nuit, celui de l’océan, celui de l’univers infini.
Je suis seule dénuée face à l’immensité, accompagnée de l’essentiel.
Mon esprit divague et vagabonde au gré du vent et des courants.
Main dans la main avec la nuit.
Je suis fatiguée.
J’aperçois un bateau juste à côté de nous, son mât est haut.
Ses feux de navigation sont une étoile et son étrave est une vague.
Il est temps que je réveille Benjy.
Bäo sort sa tête de la descente. « coucou, c’est bon maman, tu peux aller dormir. »
C’est désormais dans les bras de Morphée que je me laisse porter.



Commentaires

  1. Quelle poésie, ma chérie ! Et quelle intensité partagée ! Merci . Merci .

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